Le lourd passé de John "Jack" Burton... Nouvelles révélations (1)

Le Democritus flottait dans la faible lumière bleutée des confins du système Alaska, tous transpondeurs éteints. Le croiseur "Broken Arrow" venait de se stabiliser bord à bord et de lancer la passerelle pressurisée. Quelques instants plus tard le sas s'ouvrit sur la silhouette d'un membre des Liberty Security Forces en uniforme de combat. John "Jack" Burton s'alluma un cigare pendant que le Lieutenant Kusanagi dégainait son arme.


"Alors nous en sommes là, Jack..."

John Burton avait toujours aimé cette voix aux accents mêlés. La voix de son fils unique qui avait grandi d'ambassade en ambassade, littéralement aux trois coins de Sirius: New London, d'abord, puis Stuttgart, et enfin Honshu. La seule chose que John Burton n'avait jamais aimée, en fait, c'était ce que disait cette voix. Car peu importe ce que disait cette voix, peu importait les mots qu'elle prononçait, cette voix lui parlerait toujours de sa seule et unique défaite, à lui, John Burton, le numéro deux des services secrets de Liberty.

"Nous en sommes où, fiston?

- Ne m'appelle plus 'fiston', Jack.

- Ah non? Et quoi alors? Tu préfères que je t'appelle 'John D.'?

- N'importe quoi qui ne me rappellera pas que tu as été mon père.

- Père et fils. On reste père et fils pour toujours, quoi qu'on ait fait... John D."

'John D.' s'était avancé à quelques dizaines de centimètres du blaster photonique braqué sur lui et contemplait tranquillement le regard sans expression du Lt. Kusanagi.

John 'Jack' Burton aimait son fils. Il l'aimait d'un amour déchirant, secret, absolu. Ce qu'il n'aimait pas, c'était ce que disait sa voix. Il fit signe au Lieutenant de rengainer son arme. Kusanagi ne bougea pas.

"Rengainez votre arme, Lieutenant. C'est un ordre. C'est mon putain de fils, après tout."

Kusanagi n'avait pas encore refermé l'étui de son blaster qu'un coup de poing d'une puissance de 300 Newton l'envoya contre la cloison d'epoxy. Kusanagi s'agenouilla dans un nuage de poussière de plastique et ressortit doucement son blaster de son étui avant de le lever millimètre par millimètre vers la poitrine de John D.

"Qu'est-ce que tu es venu faire, fiston? Tuer ton propre père?

- Je sais tout.

- Tu sais tout quoi?

- Vous avez organisé les attentats de Fort Bush, toi et ta bande de chacals à cravates. Vous avez manipulé nos propres services de sécurité. Vous avez orchestré la mort de milliers de soldats pour justifier votre intervention clandestine dans la guerre contre Kusari.

- Pauvre petit. La manipulation, c'est la base de l'Art de la guerre.

- Ne me dis pas ce que c'est que l'Art de la guerre, Jack. J'appellerais plutôt ça l'Art du profit. Toi et tes amis vous possédez 14% des parts d'Ageira, de Kishiro et de BorderWorlds Export. Depuis le déclenchement du conflit les marges de ces trois firmes ont été multipliées par dix. Tu crois que je ne sais pas comment ça fonctionne dans vos petites têtes d'oeuf?

- Tu es exactement comme moi, fils. Pas encore aussi efficace, pas encore aussi résolu, pas encore aussi définitif dans tes actes. Mais tu es comme moi. En fait, tu ES moi. Tu es 'John'. Tu es 'Jack'. Tu es le dernier descendant des Burton. Dans quelques années, peut-être dans quelques mois, ma fortune te reviendra. Alors, qu'est-ce que tu feras, petit crétin? Tu crois que tu pourras continuer tranquillement ta lente ascension dans la LSF au rythme d'un grade tous les deux, quatre, sept ans? Tu crois que tu pourras garder ton poste d'analyste à la con avec plus de 750 millions sur un compte à la Manhattan Intersystem Bank? Tu crois que tu pourras continuer de baiser la fille du capitaine et lui faire trois gosses dans une villa tranquille sur Los Angeles avec MES ennemis sur tes talons?... Petit crétin.

- Pourquoi m'as-tu donné rendez-vous ici aujourd'hui, Jack?

- Pour t'avertir. Je quitte Liberty. J'ai des protecteurs en Kusari.

- Aux abois, Jack?

- Non, c'était prévu. Ce qui n'était pas prévu, c'était que tu restes ici. Ils vont tenter de m'abattre, moi. Et puis dans quelques mois, s'ils n'y sont pas arrivés, c'est vers toi qu'ils se tourneront. Tôt ou tard. C'est ça qui va se passer.

- C'est ton merdier, Jack.

- Le tien aussi, Jack.

- NE M'APPELLE PAS JACK!

- Rappelle-toi. Tu es comme moi. Tu ES moi. Quand tout se sera effondré autour de toi, quand tu n'auras plus personne vers qui te tourner, quand tout ton monde sera tombé en poussière, quand tous tes petits rêves de bon petit soldat auront été ruinés, quand tous ceux que tu croyais aimer t'auront trahi, tu comprendras. Tu n'es pas 'John D.' Tu es... Jack. Un manipulateur, un stratège, un guerrier."

'John D.' agrippa le poignet du Lieutenant et la balança lourdement par-dessus son épaule. Le chassis du gynoïde pesait bien ses quatre-vingt-dix kilos. Au moment où le corps du Lieutenant s'écrasait sur le sol 'John D.' sentit que maintenant c'était elle qui le tenait d'une poigne de fer. Avec une puissance prodgieuse mais calculée, ce fut à son tour de traverser la cloison d'époxy la plus proche. Quand il tenta de se redresser, le Lieutenant était debout, le blaster braqué sur lui, à distance respectueuse.

"Et maintenant ça suffit, petit crétin. Tu as déjà bien salopé la déco de ta pauvre maman. Tu peux quitter ce vaisseau."

'John D.' se releva péniblement, observa Kusanagi des pieds à la tête une dernière fois et mit un pied dans le sas.

"Oh, si, une dernière chose, Jack", fit John Burton en rallumant son cigare. "De là où je serai il me sera de plus en plus difficile de te protéger.

- Je n'ai jamais eu besoin de ta protection.

- C'est ce que tu crois, et jusqu'à présent ce que tu croyais n'avait pas d'importance. Mais dans les mois qui viennent... Si par hasard il venait à l'idée de tes supérieurs de t'envoyer sur le terrain... Disons sur une mission d'infiltration... Tu sais, ton satané don pour les langues... Une petite mission suicide avec une touche d'exotisme... Quelque part dans les Taus, ou dans les Omicrons... Alors il faudra te souvenir de ce que je t'ai dit aujourd'hui.

- Qu'est-ce que vous m'avez dit? Je n'ai entendu que du vent.

- Tu n'es pas 'John D.'"

'John D.' haussa les épaules et s'engouffra dans le sas. La porte se referma lentement derrière lui. Kusanagi dépoussiéra sa combinaison recouverte d'une fine couche de particules d'epoxy.

"Lieutenant?

- Oui, monsieur Burton?

- Vous n'êtes plus affectée à ma protection personnelle. Dès notre arrivée en Kusari, prenez un Saishi sur Roppongi et revenez à Liberty. J'ai besoin de vous pour veiller sur mon fils.

- D'après moi, monsieur Burton, et avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas votre fils qui a besoin de protection.

- Qui alors? Moi?

- Non, monsieur Burton. Ceux qui vont avoir besoin de protection, ce sont ceux qui trahiront votre fils."

Et John Burton produisit ce qui chez lui ressemblait le plus à un sourire.